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Le soutien psychique constitue le deuxième enjeu de la vie sociale et des relations à autrui. Il est lié au caractère destructeur des liens humains dans de nombreuses situations. Ces brisures de toutes natures provoquent souvent un mal profond et durable qui, à bien des égards, bouleverse toute une vie. Leurs expressions sont multiformes, mais elles touchent toujours cette part intime de nous-mêmes fondée sur la confiance dans la vie.

La destruction d’un lien correspond à une cassure de la vie ; elle se traduit par des souffrances profondes et souvent durables qui sont le langage même de ce que l’on appelle les « blessures psychiques »😔. Elles nous font porter un regard singulier sur la nature des liens brisés et, par conséquent, sur les enjeux psychiques du soutien social apporté à ceux qui ont été ainsi détruits. Qui peut consoler du mal qui a été fait ? Et quelle est la valeur du soutien psychique dans ce cas ? Le soutien psychique apporté à celui qui a été méprisé, humilié, violé, maltraité, c’est dans beaucoup de cas d’abord une présence, le visage de celui qui accueille et écoute. Le soutien psychologique, c’est d’abord une qualité de relation ; elle n’a rien d’automatique. Elle s’établit non seulement sur des compétences, mais aussi du fait que l’autre me prend comme son soutien. Cela suppose des qualités spécifiques : qu’il puisse compter sur nous pour recréer un lien de confiance avec lui-même et dans les autres. Le soutien psychique a, de ce point de vue, une fonction éminemment réparatrice qui redonne le sentiment de vivre, d’exister aux yeux de quelqu’un, d’exister à nouveau pour soi.

Mais cette valeur fondamentalement réparatrice du point de vue psychique n’a de sens que si le soutien mobilise celui qui est dans la détresse à faire son propre chemin. Le soutien peut, en ce sens, devenir un processus thérapeutique dont l’enjeu est la sortie psychique de l’inconsolable, de l’irréparable. Le soutien est alors consolateur dans la mesure où il permet à l’autre de réparer intérieurement sa propre vie. Si le soutien psychique est abordé ici dans un sens large comme une forme de réponse à la brisure des liens humains, il se traduit le plus souvent par une démarche dans un cadre spécifiquement thérapeutique. Son enjeu est à bien des égards de faire le deuil de sa vie perdue à travers ce que le lien à autrui a détruit en soi. On ne revient pas véritablement à la vie si on n’entre pas dans un tel processus. Dans ces conditions, le travail de deuil n’est pas seulement l’acceptation d’une perte, il représente aussi une force psychique qui propose une issue au lien humain détruit. La vie ne peut se refaire que si cette destruction psychique est assumée comme la réalité de sa propre vie. Ce travail opère un détachement intérieur par rapport au caractère ineffaçable d’une vie brisée et une transformation intime du rapport à soi en raison même du sentiment de sa vie perdue.

C’est dans la mesure où ce cheminement intérieur est engagé que la vie peut reprendre, mais pas n’importe quelle vie, une vie qui est transformation de nous-mêmes et qui nous ouvre à ce que nous sommes devenus, c’est-à-dire de vivre avec ce qui a été cassé en nous.

Le soutien thérapeutique favorise ce passage vers soi-même, passage vers une vie tout autre que celle que l’on s’était imaginée, mais une vie qui peut enfin devenir notre vie. Là s’opère en vérité cette métamorphose singulière d’entrer dans un autre rapport à nous-mêmes : la conscience de ce que nous sommes devenus à cause de nos liens brisés et qui nous engage dans une autre responsabilité par rapport à nous-mêmes et aux autres.
Face aux immenses dégâts psychiques entraînés par la vie invivable avec autrui, l’enjeu psychique du soutien, notamment dans le cadre d’une relation thérapeutique, est celui de nous guérir du mal que les autres nous ont infligé. Guérir ce mal touche précisément ce qu’il y a d’inconsolable dans les douleurs, les brisures au fond de soi. C’est pourquoi la consolation dont il est question ici est bien autre chose qu’une évasion sucrée pour adoucir trompeusement sa souffrance. Se consoler du mal est une exigence pour revivre. Se consoler du mal n’a d’autre sens que de nous mener à nouveau vers la vie ; il s’agit d’un processus guérisseur qui reconstruit psychiquement la vie avec ce qu’elle a de brisé. Se consoler, c’est donc choisir à nouveau de vivre. Cette réorientation psychique vers la vie comme reconstruction de soi est un combat intérieur avec les forces destructrices en soi, combat à travers lequel on apprend précisément à revivre. En définitive, l’enjeu psychique du soutien et de la relation réparatrice dont il est le vecteur est de nous faire revenir à la vie. Lorsque l’on a été ainsi marqué par la vie avec les autres, on ne connaîtra plus forcément le bonheur, mais on retrouvera peut-être sa propre vie à travers la transformation intérieure opérée par un tel processus.
Le troisième enjeu psychique de la vie avec autrui est lié à notre faculté de l’aimer. Il est surprenant qu’en psychologie l’amour ait si peu de place dans les approches sur les relations à autrui, si ce n’est pour l’aborder sous l’angle des sentiments amoureux ou de l’attirance affective et sexuelle.

Aimer l’autre représente peut-être l’un des aspects le plus problématiques du lien humain et l’un des moins évidents, même si nous avons l’habitude de parler de l’amour comme de quelque chose d’essentiel. C’est pourquoi le fait d’aimer l’autre doit être considéré comme l’un des enjeux psychiques les plus cruciaux de la relation et de la vie sociale en général.

En réalité, il faut d’abord constater que l’amour n’est pas une notion reconnue comme « scientifique ». Il pourrait donc paraître inapproprié aux yeux de certains d’introduire ici une telle analyse. Et, pourtant, dans l’optique d’une compréhension des processus psychiques du lien humain, l’amour représente un facteur fondamental.

Faut-il rappeler ensuite que l’on se trompe souvent sur l’amour, car comme le faisait observer Hannah Arendt, « l’amour est un phénomène très rare dans la vie humaine ».

On le réduit, la plupart du temps, à l’expression de nos sentiments et de notre affection envers quelqu’un, à l’élan de notre désir et dont le modèle reste la relation amoureuse. Elle représente, en effet, pour beaucoup, l’expression même de l’amour. Si elle révèle la force de l’affectif comme créatrice du lien, le fait d’aimer l’autre reflète, dans ce cas surtout, l’attachement à lui dans un lien qui se veut unique et durable. On oublie ainsi une composante fondamentale de l’amour qui réside dans la disposition psychique à vouloir le bien de l’autre. Dans ce sens, la question de l’affectivité n’est plus seulement envisagée comme l’expression de mon accomplissement personnel, mais aussi comme l’expression de ma disposition favorable à l’égard de l’autre. D’où son importance et son rôle psychique dans la construction et le devenir des relations interpersonnelles, comme d’ailleurs des relations sociales. Autrement dit, la question à laquelle on se trouve renvoyé est celle du développement du lien humain et social au regard de cette prise en compte de l’amour de l’autre.

Cette question doit être abordée frontalement, en particulier chez les professionnels de la psychologie, en raison notamment du contexte de violence dans lequel nous vivons, des diverses expressions de haine, des détresses psychiques liées au mal qui a été fait à des personnes ou à des groupes entiers. Toutes ces situations montrent que de nombreux individus ont la rage, des gens se haïssent, des catégories sociales se détestent, c’est-à-dire qu’ils ne s’aiment pas. Ces diverses expressions constituent des indicateurs de la faillite des relations sociales, et c’est en ce sens que cela a à voir avec la psychologie. Ce qui est donc là directement en cause, c’est l’absence d’amour. Dans ces conditions, il est important, du point de vue psychique, de considérer ce que l’amour a à faire là-dedans.

Nous le montrerons en particulier à travers la valeur thérapeutique de deux formes d’expression complémentaires.
La première porte sur la question du pardon. En effet, ce qui caractérise la psychologie des personnes blessées dont les liens à autrui ont été détruits, c’est l’impossibilité de pardonner le mal qui a été fait. Que reste-t-il à pardonner lorsque l’on a été cassé au fond de soi ? Pour beaucoup, le fait de pardonner est une notion religieuse, morale, une valeur hypocrite qui n’a plus guère de sens. Aujourd’hui, pardonner apparaît comme un comportement anachronique, voire trivial pour certains, en réponse aux violences, à la haine ambiante. De la sorte, le pardon est absent de l’horizon quotidien des expériences humaines. Concrètement, nous ne savons plus ce que « pardonner » veut dire. En réalité, pardonner est d’abord et fondamentalement un processus psychique par lequel on cesse de haïr l’autre. Pardonner correspond donc à une expérience psychique qui s’énonce comme une inversion, un retournement du sentiment de haine.

Son enjeu psychique, c’est d’abord d’arrêter sa propre rage intérieure, de stopper sa propre haine, et non pas celle qui est dans l’autre qui m’a fait mal. Pardonner, c’est se libérer de sa propre haine. Cela représente donc un enjeu considérable non pas d’abord pour rétablir le lien social, mais pour se libérer de sa propre haine.

La psychologie du pardon ne s’inscrit guère aujourd’hui dans une vision réparatrice des relations humaines et sociales. Et, pourtant, elle est de l’ordre d’un travail psychique, mais que les approches thérapeutiques actuelles ont du mal à prendre en compte. Or, en tant qu’expérience psychique, le pardon touche chacun au cœur même de sa relation à autrui. Son enjeu fondamental, c’est la transformation de ses propres sentiments d’hostilité et de haine à travers un travail psychique pour, précisément, faire taire cette haine au fond de soi. Pardonner est en ce sens un processus psychique qui délivre la personne blessée de son propre malheur de vivre comme un être offensé. La question du pardon met donc en lumière l’enjeu même de la délivrance du mal qui nous a été fait comme dénouement psychique du lien brisé.

La deuxième forme d’expression renvoie à un enjeu particulièrement crucial de l’amour d’autrui, dans la mesure où il s’agit de mon ennemi. Autrement dit, que devient la relation à mes ennemis si, en dépit du fait qu’ils me détestent, j’exprime envers eux des sentiments positifs et que j’arrive malgré tout à avoir à leur égard des dispositions favorables ?

On observera tout d’abord qu’une telle forme de relations peut paraître insensée à bien des égards ; elle représente en tout cas quelque chose d’impossible pour beaucoup. Pour autant, un tel processus met en lumière la nature de la transformation psychique à l’œuvre et qui se caractérise par le fait que l’amour ainsi manifesté consiste non pas à changer mes ennemis pour en faire mes amis, mais à ne plus leur faire du mal, c’est-à-dire à exprimer à leur égard des dispositions et des sentiments positifs, même si eux continuent à me faire du mal. Autrement dit, le fait d’aimer les autres, et en l’occurrence mes ennemis, transforme avant tout mon expérience relationnelle avec eux en me réorientant vers la vie à travers de tels sentiments. Celui qui aime sort ainsi du cercle vicieux dans lequel il est lui-même enfermé à cause de sa relation hostile à autrui et, de ce fait, sa relation prend un sens tout à fait spécifique : aimer l’autre guérit avant tout mes propres sentiments hostiles en les inversant en sentiments bons à son égard. En aimant autrui, je transforme ma relation à lui. En aimant mon ennemi, je guéris ma relation à lui.

Ces modalités particulières d’expression permettent de montrer de façon plus large que le fait d’aimer l’autre représente une ressource psychique fondamentale pour chacun dans toutes ses relations.

Dans ces conditions, la meilleure façon de vivre avec les autres serait, en définitive, d’apprendre à les aimer.

Ce serait probablement aussi la meilleure façon de rendre la vie humaine véritablement vivable. Mais à quel prix !

©️ Gustave-Nicolas Fischer

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C'est un rappel que vous pouvez toujours recommencer à zéro. Ce que vous avez fait hier, la semaine dernière, le mois dernier, l'année dernière, ne vous définit pas. Chaque instant est une nouvelle chance de devenir une meilleure version de vous-même. Ainsi, les torts que vous avez ressentis ou les erreurs que vous avez commises et que votre esprit repasse constamment en vous faisant souffrir, ne définissent pas le reste de votre vie.🙅‍♂️

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